Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le cri du menhir
29 juillet 1999

Mémé

Une chronique de l'association Brocélia par Jean-Marc Derouen...

Conteur. C’est certainement le second métier le plus vieux du monde ! Depuis toujours, l’homme s’est raconté des histoires puis les a racontées aux autres ! 

   

Moi, je suis devenu conteur presque par hasard… En me promenant dans la forêt de Brocéliande ! (Oui, il faut un minimum quand même !).  A cette époque j’écrivais des nouvelles. Un jour, les organisateurs d’un festival de contes m’ont demandé de venir lire un petit texte que j’avais écrit sur la terrible tempête de 1987... C’était à Plélan-le-Grand.
J’y suis allé, j’ai lu et dans l’assistance, à mon grand étonnement, un grand silence : tout le monde écoutait attentivement ! On m’a demandé alors de revenir l'année suivante pas pour lire cette fois mais pour dire...Je me souviens comme si c'était hier. Michèle Laur, la responsable de l'office du tourisme de Tréhorenteuc me dit: "L'année prochaine je te programme dans les "Mardis de Brocéliande".
Franchement je ne m'en sentais pas capable alors...


Je lui ai dit que non...   Elle m’a dit que si !
Je lui ai dit que non...   Elle m’a dit que si !
Je lui ai redit que non...   Elle m’a redit que si ! (têtue la
dame ! )
J’ai donc encore dit : non !   Mais elle a encore dit : si !

Alors j’ai dit : Ah bon…

C’est comme ça que je suis devenu conteur, parce que quelqu’un, un jour, m’a fait comprendre que c’était possible ! A partir de ce jour, ma vie a changé. Le virus étant pris, la maladie du bonheur de raconter m’a envahi !

Et depuis, je cause,... je cause,... je cause...

A tel point qu’il y a un peu plus de trois ans, à mon tour j’ai eu envie de donner la parole à d’autres et dans l’association Brocélia, j’ai ouvert un atelier-contes à Cléguer.

Aujourd’hui, nous sommes huit à nous retrouver chaque lundi à la ferme du Merdy, à Hennebont. Quatre conteuses et quatre conteurs pour travailler ensemble, pour nous raconter des histoires, des anecdotes, pour vivre l’instant de conte comme un moment de bonheur absolu.

   


On improvise, on adapte, on invente,

on crée, on analyse, on critique… On dit et on redit !

On répète, on tripète ! On quadrupète !!


Même parfois, mais toujours dans la bonne humeur ! L’important pour nous, c’est de permettre à chacune et à chacun de mettre en paroles ses propres histoires. Avec ses mots. Avec son corps. Raconter des histoires, c’est donner à voir… Le conteur voit ce que le public ne voit pas. Alors, il le raconte avec ses pensées, sa structure grammaticale, ses gestes. En cela, chaque conteur est unique et dans l’atelier, il y a autant de mondes différents qu’il y a de conteurs. Ce sont ces mondes-là que nous allons découvrir dans cette rubrique du Cri-du-Menhir. Vous verrez que je ne vous mens pas et pour preuve, je vous invite à entrer dans le monde bien réel et pourtant magique de Laurent Kermabon.

Laurent est arrivé par un soir de septembre, il y a trois ans. Son but : apprendre des contes ! Je lui ai dit alors qu’il était mal tombé, que les contes cela ne s’apprenait pas. Les contes ça se visite, ça se découvre, ça sort de soi, ça se dévoile mais ça ne s’apprend pas ! Et petit à petit, Laurent a appris à visiter son monde intérieur, à explorer ses émotions, à les exprimer. Petit à petit, il a commencé à travailler, à adapter, à malaxer le monde des mots, à jouer avec les rythmes, à identifier ses émotions. Puis il a commencé à créer…
Et de très belle façon ! Témoin, ce texte “Mémé” issu d’un travail d’improvisations où, au fil du temps, les mots sont venus se placer d’eux-mêmes pour offrir des images justes, authentiques et profondes. Pour l’anecdote, un jour, Laurent a raconté cette histoire à la radio. Le soir même, je recevais un coup de téléphone d’un auditeur qui l’avait entendue dans sa voiture et qui avait dû s’arrêter sur le bord de la route pour reprendre ses esprits tant l’émotion avait été forte en l’écoutant. Aussi m’appelait-il pour savoir si je pouvais lui envoyer le texte…

Ce récit, le voici. Mais soyons clair, un écrit ne reste qu’un écrit face à l’oralité ! Et pour tous ceux qui le liront , il manquera toujours la voix chaude et tendre de Laurent, ses intonations, ses coups de gueule. Aussi je ne peux que vous encourager à aller l’écouter lors d’une de ses balades contées où de ses soirées contes dont il a le secret… Laurent raconte sa Bretagne, la Bretagne intérieure (là où il habite) et celle du bord de mer (là où il est né) !

Alors, vous êtes prêts ?  C’est parti ! Fermez les yeux... et lisez !!!

Jean-Marc Derouen.

de et par Laurent Kermabon,
illustré par Yaël.


      
Ce jour-là, toute la famille était réunie. Les enfants, les petits-enfants, les arrière-petits-enfants. Cela faisait une paye qu’on n’avait pas vu ça ! Faut dire ! Ce n’était pas un jour comme les autres ! Mémé fêtait ses 90 ans ! Pour rien au monde, on n’aurait voulu manquer ça ! Ça faisait une sacrée tablée ! Mémé s’était installée au bout de la table, comme ça elle pouvait voir tout le monde. Ça discutait dans tous les coins, depuis le temps qu’on ne s’était pas vus ! Oh ! On en avait des choses à se raconter ! Tu te souviens ! Tu te rappelles ? Et untel, qu’est-ce qu’il est devenu ? On est même allé chercher les photos dans l’armoire parce que mémé, elle garde tout ça. Dans des cartons : un carton pour les photos, un carton pour les cartes postales, un carton pour les coupures de journaux. Chaque fois qu’un des membres de la famille a les honneurs de la presse, l’article est soigneusement découpé et rangé dans l’armoire…
A la fin du repas, mémé a soufflé ses bougies, elle a mangé une part de gâteau,  et elle a bu une coupe de champagne. On a vu ses yeux qui ont commencé à clignoter !
la vieille horloge qui ne marchait plus depuis dix ans, depuis la mort de pépé ! La vieille horloge s’était remise en marche !
- Pas toute seule quand même ?

Alors, on a entendu :

- Et le pépé alors ? On ne l’invite pas pour l’anniversaire ?

La porte de l’horloge s’est ouverte tout doucement et pépé est apparu dans son beau costume, la face hilare, frisant ses moustaches en guidon de vélo et au même moment, un oiseau tout blanc s’est posé sur le bord de la fenêtre ! Pépé a fait le tour de la table, il est allé s’asseoir à côté de mémé.

- Oh bah ! J’boirais bien un p’tit coup moi aussi !
Il a rempli son verre.
- Bah ! Qu’est-ce que vous avez tous là à me regarder ? Quatre-vingt dix ans ! Ça se fête non ?
           
- Tiens ! mémé a mis ses Warnings !
et tout doucement, tout doucement elle s’est endormie.

Chuuuuuut ! mémé dort !

Tout à coup, on a entendu : “dong… dong… dong…” ! L’horloge !
Pépé a bu un coup, s’est calé dans le fond de la chaise et il a posé sa main sur celle de mémé. Elle n’a rien dit mais elle a souri… Nous, on n’osait pas bouger, même pas les paupières ! Et quand l’oiseau blanc a frappé aux carreaux, on a tous sursauté ! Quand on s’est retourné… La chaise de pépé était vide ! Et son verre aussi d’ailleurs ! Alors mémé a ouvert les yeux, elle a souri en voyant nos têtes d’ahuris et elle a dit :
L’Amour ! C’est ça !


de et par Laurent Kermabon,
illustré par Yaël. 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité