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Le cri du menhir
30 juillet 1999

Allez ! Vas-y ....raconte !

Une chronique de l'association Brocélia par Jean-Marc Derouen


Tout ça, c’est des histoires… des racontars… et puis d’abord, c’est même pas vrai !

Bah ! Oui ! Et alors ? Ce n’est pas la peine de prendre ce ton de dégoût ! Car en fait c’est quoi, la vérité ? Moi, je me demande toujours si la planète Terre existe vraiment… Et si la Terre n’était qu’une infime partie d’un être minuscule (l’univers) qui était en train de se faire manger par une grosse et énorme bête ? Hein ? Et si la pensée n’était qu’une fuite en avant d’une matière à penser qui met les choses de côté en attendant qu’elles mûrissent ? Et si le chocolat n’était qu’un état de conscience dans lequel le cacao ne se reconnaissait pas ? Et si mon père devenait maire ? Et si ma mère manquait de repères ? Voilà autant de vraies fausses questions qui ne répondent pas à la question cruciale qui nous anime tous : Est-ce que les contes sont vrais ?

 
Là, je suis catégorique : OUI, les contes sont vrais ! Aussi vrais que un et un font quatre lorsqu’on attend  des jumeaux… Aussi vrai que l’on est en retard  lorsqu’on est dans l’étang… Aussi vrai que “Fumer  nuit aux spermatozoïdes”, inscrit sur les paquets  de cigarettes, est un mensonge sachant qu’on  n’a encore jamais surpris un spermatozoïde  une cigarette au bec… Aussi vrai que cette  femme… morte de n’avoir pas pu me rencontrer…  Oui ! Tous les contes sont vrais ! Je n’en démordrais  pas, même si j’avais un dentier. Mais, bien sûr, tout dépend de l’axe dans lequel on considère la question !  Car c’est toujours cette question essentielle qui nous  turlupine tous au sein de l’Association Brocélia.  Dès que l’un ou l’une d’entre nous vient nous raconter une histoire qu’il (ou elle) vient de créer, il (ou elle) nous demande immédiatement : Est-ce que mon histoire est vraie ?

Et sur le champ, on lui répond en chœur, (de préférence, parce que ça fait mieux et parce que c’est beaucoup plus joli) :  Oh oui ! Bien sûr !

C’est ce qui s’est passé avec la Mamm’Soaz le soir où elle est arrivée avec son histoire dans la tête intitulée “Guillemette” et qu’elle nous l’a racontée pour la première fois. Quand on lui a dit que son histoire était vraie, la Mamm’Soaz en a été la première surprise. Elle en était toute retournée. Elle ne le croyait pas… Il a fallu qu’on insiste ! Remarquez, c’est logique car venant tout juste de la créer, elle n’avait pas encore suffisamment de recul. C’est ça les copains… ça vous conforte là où on se sent seul(e) et ça vous affirme des vérités que l’on aurait toujours ignorées. Je vous le répète, la vérité dépend toujours de l’axe dans lequel on considère la question ! Remarquez…là encore ! Face à cette affirmation, en ce moment même, j’ai un doute… Mais ce que je sais en revanche, c’est que la Mamm’Soaz, quand elle nous la raconte sa “Guillemette”, nous… dans l’atelier… on ferme les yeux et on se laisse guider par les mots et les images. On flotte doucement au gré des courants. C’est comme si elle allumait un feu au bord de notre imaginaire afin qu’on vienne s’échouer pour écouter au plus près d’elle. La Mamm’Soaz, dans le groupe, c’est notre naufrageuse du bonheur ! Elle nous fait rire et puis rêver. Et ça ! C’est vraiment vrai !

Et si vous ne me croyez pas, alors… fermez les yeux…et lisez !


Racontée par Mamm’ Soaz

Ce matin là… Guillemette n’en croit pas ses yeux…
Elle est là… devant elle… à deux pas… comme elle l’a rêvée depuis la petite annonce de son journal.
La maison est là, sur la dune, face à l’océan.
C’est une vieille maison moussue.Une maison oubliée par le temps qui semble l’attendre, elle, la Guillemette ! Elle s’avance dans les allées, au milieu des roses trémières… Elle entre. Dans la pénombre… là dans un coin… une grosse horloge au balancier immobile la regarde venir. La dame de l’agence est déjà là… Les transactions sont vite expédiées ! Guillemette ne se pose même pas de questions quant au prix dérisoire qui lui en est demandé. Elle signe ! Trois mois plus tard, la voici installée… Elle se sent bien ! Tout s’est ordonné autour d’elle… Même son ordinateur a su s’adapter aux vieux murs. Et ça, ce n’est pas peu dire… Et puis… un matin… un matin d’automne… tout bascule… Une brume épaisse venue de la mer glisse sur le jardin… Elle se sent entourée d’ombres, de présences… l’atmosphère devient vite pesante


Elle enfile son caban. La nuit est déjà là. Les tourbillons du vent l’emportent sitôt franchie la barrière du jardin. C’est quoi ce bruit ? Un bruit de rames… Un bruit de rames à cette heure ? Un léger murmure, un chuchotement de voix humaines lui arrive par-dessus le fracas des vagues. Ces voix qui sortent de la mer lui glacent le sang. Rauques, traînantes, elles s’élèvent du fond des eaux, comme si des équipages invisibles allaient débarquer. Soudain, de lourdes silhouettes encapuchonnées surgissent de la brume. Ruisselantes, elles s’arrachent une à une de la crête des vagues et glissent vers elle !
Et cette horloge ? Cette grosse horloge qui ne marche même pas ? Cette horloge dont les aiguilles restent bloquées sur le douze comme au jour de son arrivée… Pour la première fois Guilemette n’est pas à l’aise… Elle se sent épiée, surveillée… comme si son horloge voulait lui parler, comme si elle voulait lui dire de sortir, de s'en aller, d'aller sur la dune...
Guillemette reste scotchée sur place, jusqu’à ce cri terrible qui déchire l’air. Elle court se mettre à l’abri derrière la murette du jardin. Mais les voix, ces voix aux timbres étranges se rapprochent, s’amplifient. Elle sent des souffles froids qui lui passent sur le cou. De l’autre côté du mur, elle entend des claquements de sabots, des cris, des plaintes, des lamentations et même, mais oui, on dirait… des pleurs d’enfant ! Elle court se réfugier dans la maison. Lorsqu’elle ose un regard par la fenêtre, elle voit son jardin auréolé d’une étrange lueur. Elle se jette dans son fauteuil, et, de peur et de fatigue, finit par s’endormir. C’est le frais soleil du matin qui la réveille. Son bol de café fumant dans les mains, la voici dehors. -  Que s’est-il passé cette nuit ? J’ai dû rêver ! Mais oui !  Et pourtant, s’il y avait eu véritablement naufrage ?

Elle se dirige vers le bourg.
- Tout à l’air normal par ici…

Sur le trottoir d’en face, le vieil horloger attache ses volets de bois. Leurs regards se croisent. Sans réfléchir, elle traverse la rue, va droit vers lui et elle lui raconte les événements de la nuit.
- Vous n’avez pas rêvé… mais quand même ! Vous auriez dû savoir qu’en habitant la maison des naufrageurs vous preniez ce genre de risque voyons. J’ai bien voulu vous en parler, rappelez-vous, le jour où vous m’avez appelé pour réparer votre horloge, cette horloge qui n’a jamais marché depuis le jour du drame ! Mais vous sembliez tellement loin de ce genre de préoccupation ! Vous ne m’auriez même pas écouté ! 
- Quoi ? Le jour du drame ? La maison des naufrageurs ? Vous avez dit la maison des naufrageurs ? D’accord ! Je comprends ! Le prix dérisoire… La précipitation de l’agence pour me faire signer la promesse de vente ! Et je comprends maintenant pourquoi ces gens qui l’avaient si bien restaurée l’ont quittée dès le premier hiver !
- Sachez, ma petite dame, que tous ceux qui ont vécu là faisaient partie de ces bandes que l’on appelait autrefois les naufrageurs. Cette maison a été le témoin d’horribles pillages. Ses derniers occupants avaient une fillette. Après une tempête d’équinoxe comme celle-ci, les villageois ont retrouvé leurs corps sans vie avec ceux de trois marins anglais. Les visages avaient été fracassés, écrasés à coups de rames. Ils se sont empressés d’enterrer les corps dans le jardin de la maison des dunes. Et depuis, les gens d’ici ne s’approchent plus de cette maison maudite ! …


Guillemette remercie le vieil homme. Arrivée chez elle, elle prend une bêche et se met à creuser. Elle creuse au pied du laurier là-bas, contre la murette. Pourquoi à cet endroit ? Elle ne le sait pas mais elle creuse… Elle creuse… Elle creuse… Et soudain un bruit contre le fer de la bêche. 
- Mon Dieu ! Des os ! Des os humains !
Elle les ramasse, les dispose dans une boîte en fer et les recouvre de ses plus belles roses trémières. Elle se dirige ensuite vers le cimetière. Là, elle enterre les restes à l’endroit où l’on jette les fleurs fanées et, rappelez-vous autrefois, les vieilles couronnes de perles.


Le soir venu la tempête redouble de violence. Au beau milieu de la nuit un fracas terrible la réveille. La lucarne au-dessus de sa tête est ébranlée par des chocs effrayants comme si les paquets de mer arrivaient jusque-là. Au travers de toute cette eau, elle voit le cadavre d’un homme, bras en croix. Elle se retrouve dehors, serrant son caban contre elle. Dans le vent, elle entend les voix, ces mêmes voix à l’accent étrange que la veille. Des bruits indéfinissables l’entourent. L’impression d’être frôlée, bousculée, piétinée, même, est tellement forte, qu’elle s’écroule sans connaissance. Le petit matin la retrouve dans la même position, toute transie, courbatue.

Guillemette va pour se relever, là, près de son visage, quelque chose de doux. Une main inconnue a déposé dans l’herbe foulée une couronne tressée avec ses roses trémières. Elle se saisit de la couronne, la serre contre elle… En retournant vers la maison, elle a le sentiment d’être en harmonie avec ce qui l’entoure, elle se sent heureuse, comme libérée. Elle ne s’étonne même pas d’entendre sonner, pour la première fois, le carillon de sa grosse horloge.

Depuis cette nuit d’équinoxe là, rien n’est plus jamais venu troubler la quiétude des lieux.


Françoise Cordeau
dite la Mamm’ Soaz
(Riantec)
illustrations: Yaël

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Commentaires
C
C'est la mamm soaz très émue de retrouver son texte ainsi mis en valeur. Merci Yaël, c'est fou l'impression de ressenti que tu as su mettre dans tes dessins. Ce conte en devient de "la vérité-vraie", d'ailleurs je peux le dire, à quelque chose près, cela s'est passé quelque part sur les côtes de chez nous ...<br /> amicalement.
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