Allez ! Vas-y ....raconte !
Une chronique de l'association Brocélia par Jean-Marc Derouen
Tout ça, c’est des histoires… des racontars… et puis d’abord, c’est même pas vrai !
Bah ! Oui ! Et alors ? Ce n’est pas la peine de prendre ce ton de dégoût ! Car en fait c’est quoi, la vérité ? Moi, je me demande toujours si la planète Terre existe vraiment… Et si la Terre n’était qu’une infime partie d’un être minuscule (l’univers) qui était en train de se faire manger par une grosse et énorme bête ? Hein ? Et si la pensée n’était qu’une fuite en avant d’une matière à penser qui met les choses de côté en attendant qu’elles mûrissent ? Et si le chocolat n’était qu’un état de conscience dans lequel le cacao ne se reconnaissait pas ? Et si mon père devenait maire ? Et si ma mère manquait de repères ? Voilà autant de vraies fausses questions qui ne répondent pas à la question cruciale qui nous anime tous : Est-ce que les contes sont vrais ?
Là, je suis catégorique : OUI, les contes sont vrais ! Aussi vrais que un et un font quatre lorsqu’on attend des jumeaux… Aussi vrai que l’on est en retard lorsqu’on est dans l’étang… Aussi vrai que “Fumer nuit aux spermatozoïdes”, inscrit sur les paquets de cigarettes, est un mensonge sachant qu’on n’a encore jamais surpris un spermatozoïde une cigarette au bec… Aussi vrai que cette femme… morte de n’avoir pas pu me rencontrer… Oui ! Tous les contes sont vrais ! Je n’en démordrais pas, même si j’avais un dentier. Mais, bien sûr, tout dépend de l’axe dans lequel on considère la question ! Car c’est toujours cette question essentielle qui nous turlupine tous au sein de l’Association Brocélia. Dès que l’un ou l’une d’entre nous vient nous raconter une histoire qu’il (ou elle) vient de créer, il (ou elle) nous demande immédiatement : Est-ce que mon histoire est vraie ? |
Et sur le champ, on lui répond en chœur, (de préférence, parce que ça fait mieux et parce que c’est beaucoup plus joli) : Oh oui ! Bien sûr !
C’est
ce qui s’est passé avec la Mamm’Soaz le soir où elle est arrivée avec
son histoire dans la tête intitulée “Guillemette” et qu’elle nous l’a
racontée pour la première fois. Quand on lui a dit que son histoire
était vraie, la Mamm’Soaz en a été la première surprise. Elle en était
toute retournée. Elle ne le croyait pas… Il a fallu qu’on insiste !
Remarquez, c’est logique car venant tout juste de la créer, elle
n’avait pas encore suffisamment de recul. C’est ça les copains… ça vous
conforte là où on se sent seul(e) et ça vous affirme des vérités que
l’on aurait toujours ignorées. Je vous le répète, la vérité dépend
toujours de l’axe dans lequel on considère la question ! Remarquez…là
encore ! Face à cette affirmation, en ce moment même, j’ai un doute…
Mais ce que je sais en revanche, c’est que la Mamm’Soaz, quand elle
nous la raconte sa “Guillemette”, nous… dans l’atelier… on ferme les
yeux et on se laisse guider par les mots et les images. On flotte
doucement au gré des courants. C’est comme si elle allumait un feu au
bord de notre imaginaire afin qu’on vienne s’échouer pour écouter au
plus près d’elle. La Mamm’Soaz, dans le groupe, c’est notre naufrageuse
du bonheur ! Elle nous fait rire et puis rêver. Et ça ! C’est vraiment
vrai !
Et si vous ne me croyez pas, alors… fermez les yeux…et lisez !
Racontée par Mamm’ Soaz
Ce matin là… Guillemette n’en croit pas ses yeux… |
Elle enfile son caban. La nuit est déjà là. Les tourbillons du vent l’emportent sitôt franchie la barrière du jardin. C’est quoi ce bruit ? Un bruit de rames… Un bruit de rames à cette heure ? Un léger murmure, un chuchotement de voix humaines lui arrive par-dessus le fracas des vagues. Ces voix qui sortent de la mer lui glacent le sang. Rauques, traînantes, elles s’élèvent du fond des eaux, comme si des équipages invisibles allaient débarquer. Soudain, de lourdes silhouettes encapuchonnées surgissent de la brume. Ruisselantes, elles s’arrachent une à une de la crête des vagues et glissent vers elle ! |
Et cette horloge ? Cette grosse horloge qui ne marche même pas ? Cette horloge dont les aiguilles restent bloquées sur le douze comme au jour de son arrivée… Pour la première fois Guilemette n’est pas à l’aise… Elle se sent épiée, surveillée… comme si son horloge voulait lui parler, comme si elle voulait lui dire de sortir, de s'en aller, d'aller sur la dune... |
Guillemette reste scotchée sur place, jusqu’à ce cri terrible qui déchire l’air. Elle court se mettre à l’abri derrière la murette du jardin. Mais les voix, ces voix aux timbres étranges se rapprochent, s’amplifient. Elle sent des souffles froids qui lui passent sur le cou. De l’autre côté du mur, elle entend des claquements de sabots, des cris, des plaintes, des lamentations et même, mais oui, on dirait… des pleurs d’enfant ! Elle court se réfugier dans la maison. Lorsqu’elle ose un regard par la fenêtre, elle voit son jardin auréolé d’une étrange lueur. Elle se jette dans son fauteuil, et, de peur et de fatigue, finit par s’endormir. C’est le frais soleil du matin qui la réveille. Son bol de café fumant dans les mains, la voici dehors. - Que s’est-il passé cette nuit ? J’ai dû rêver ! Mais oui ! Et pourtant, s’il y avait eu véritablement naufrage ? |
Elle se dirige vers le bourg. Guillemette remercie le vieil homme. Arrivée chez elle, elle prend une bêche et se met à creuser. Elle creuse au pied du laurier là-bas, contre la murette. Pourquoi à cet endroit ? Elle ne le sait pas mais elle creuse… Elle creuse… Elle creuse… Et soudain un bruit contre le fer de la bêche. |
Le soir venu la tempête redouble de violence. Au beau milieu de la nuit un fracas terrible la réveille. La lucarne au-dessus de sa tête est ébranlée par des chocs effrayants comme si les paquets de mer arrivaient jusque-là. Au travers de toute cette eau, elle voit le cadavre d’un homme, bras en croix. Elle se retrouve dehors, serrant son caban contre elle. Dans le vent, elle entend les voix, ces mêmes voix à l’accent étrange que la veille. Des bruits indéfinissables l’entourent. L’impression d’être frôlée, bousculée, piétinée, même, est tellement forte, qu’elle s’écroule sans connaissance. Le petit matin la retrouve dans la même position, toute transie, courbatue. Françoise Cordeau |