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Le cri du menhir
2 novembre 2008

Le Loup

“L’homme est un loup pour l’homme”... dit-on !JMD

Est-ce vraiment comme cela qu’il faut voir la vie ? Et si l’animal (ici le loup) se montrait plus raisonnable et plus honnête que le comportement humain ? Certes le loup (animal) est dangereux mais il n’est pas méchant.

C’est en marchant dans la forêt de Brocéliande que ces idées se sont mises à flotter en moi. La légende dit que c’est en l’an 1873 que le dernier loup fut tué en Brocéliande... Non... Ce n’est pas possible ! Les loups existent, je les vois tous les jours à la télé, je les entends quotidiennement aux infos... Non, ils vivent encore. Différemment, c’est tout...

 

Mais en me penchant davantage sur le problème, j’ai du me rendre à l’évidence. L’homme est égocentrique, il se dédouane toujours de ses propres défauts, il rejette sur l’autre sa propre perfidie. Et si la nouvelle qui suit existe, c’est que maintenant j’en suis sûr : ce n’est pas à l’homme d’avoir peur du loup mais plutôt l’inverse. Aussi ce n’est pas l’homme qui est un loup pour l’homme mais bien l’homme qui est un homme pour le loup...

 

JM Dérouen. Meslan, le 1er Juin 2003.

 

                                                                     Matt_00

 

Matt_01Il avait beaucoup marché cet après-midi là. Beaucoup avancé dans son absence. Il avait égaré son amour au matin comme une branche voit s’envoler sa dernière feuille d’automne. Elle s’en était allée... au gré d’un vent qui lui était trop connu. Il marchait sur l’herbe tendre de ce printemps, vidant d’un hochement de tête tout ce qui inlassablement remontait en lui. Il n’y avait plus que la chaleur des muscles, que des mouvements cadencés et une main crispée sur un bâton qui s’enfonçait fort dans une terre meuble. Le soleil disparut derrière les plus hauts arbres de la forêt de Brocéliande et le froid s’intensifia. Arrêtant sa marche au bord d’un étang, il s’assit sur un tronc brisé par la tempête et jeta un regard vide sur la surface blafarde. Les chênes s’obscurcirent. Il alluma sa pipe, remonta le col de sa veste puis ferma les yeux. Il oublia le temps.

 

Engoncé dans son silence, il perçut un souffle. Un souffle qui n’était pas le sien, mais si proche. Un souffle animal, sauvage et cependant humain.

La présence se fit si vive qu’il en tressaillit et ouvrit les yeux. Devant lui, à deux pas, un loup gigantesque était campé dans une posture identique à la sienne. Leurs respirations s’harmonisaient, les poitrines se gonflant et évacuant l’air dans un même fragment de temps. Il modifia sa respiration, tourna la tête à droite, à gauche... L’animal en fit autant. Puis leurs regards se croisèrent et l’homme eut soudain envie de hurler à la lune, sans retenue aucune.

 

Il prit une grande inspiration lorsque le loup l’interpella :Matt_02

“-Chut ! Ne nous fais pas repérer...”

La voix de l’animal, sortie de cette gueule lourde et menaçante, avait pourtant sonné claire... L’homme bloqua sa respiration. Le loup toussa.

“-Respire bon sang... hurla le loup, je manque d’air !

-Que veux-tu ?

 

-Oh rien... Ou si peu... En fait, je suis venu te voir car cela fait un bon moment que je te suis à pas feutrés, de taillis en taillis. Je t’ai observé et il y a longtemps que je cherche un individu comme toi... Mais il n’en passe jamais par ici, jamais... Et ce soir tu es là... Enfin ! Et je sais que j’ai besoin de toi comme toi tu as besoin de moi...”

L’homme, calme, pensa que le loup se trompait, qu’il devait faire erreur. Il se sentait beaucoup trop vide pour qu’on ait besoin de lui. Il n’avait au fond rien à dire, à personne, encore moins à un loup.

“-Je suis fatigué comme le bois mort sur lequel je suis assis, tu sais ! Que peux-tu attendre de moi ? Que peux-tu attendre d’un homme qui n’espère plus rien, pas plus des autres que de lui-même ? Ton instinct t’a trompé, tu fais fausse route...


                                   Matt_03

 

Matt_04-Hé ! Hé ! Justement... Tu sais que tu m’intéresses de plus en plus ?

-Tu perds ton temps.

-Pas du tout ! C’est parce que tu es... Euh... Vide, oui c’est cela vide, que je suis sorti de ma tanière. Je ne me passionne que pour les gens vides, tu ne peux pas comprendre, mais c’est vrai ! Un homme vide, c’est en quelque sorte un homme sans âme. Je cherche cela !

 

-Tu fais erreur,

j’ai une âme...

Mais elle est...

-Éteinte ?

-Oui...

C’est peut-être cela...

Éteinte...

-Épatant !

Qu’aurai-je à faire d’une âme morte ? C’est d’une âme éteinte dont j’ai besoin...”

 

Le loup se leva, flaira quelque animal nocturne qui courait dans le chemin puis s’approcha encore de l’homme.

 

Matt_05“-Cela fait plus de deux siècles que je t’attends... Oui ! Deux cents ans de solitude dans une forêt qui s’évanouit de jour en jour... Incroyable n’est-ce pas ? Sans louve depuis plus d’un siècle. Sans compagnon pour faire les quatre cents coups. Seul le jour, seul la nuit, seul au réveil, seul à midi, seul le soir lorsqu’il faut s’endormir. Seul avec ma faim et mon sommeil qui ne vient pas. Seul à entendre aux printemps la nature entière qui s’accouple... ça grouille de partout ! Cela rime à quoi ? Hein ? Je veux vivre moi, vivre, tout simplement ! Retrouver le monde des hommes comme je l’ai connu autrefois... Aimer, jouer, partager, créer... Tu peux comprendre cela au moins ?

 

Matt_07-Non... Je ne crois plus pouvoir. Tu m’aurais dit cela lorsque j’avais vingt ans, peut-être... Mais aujourd’hui cela m’échappe vois-tu.

Aimer est impossible et tellement compliqué ! Aimer c’est attendre et je ne sais plus attendre ou bien j’ai passé l’âge... Peu importe en fait ! Partager, jouer, vivre ! Tout n’est qu’illusion. C’est la vie qui vous partage et qui se joue de vous et vous n’y pouvez rien. Reste la création... Peut-être, mais je n’en ai plus la force... Ni la conviction profonde que cela puisse malgré tout servir à quelque chose... Que portes-tu espoir en ces mots-là ? As-tu tout oublié ou n’as-tu gardé de ton passé que des souvenirs erronés ? Essaie donc un peu de te remémorer ! Rappelle-toi ce que tu as pu vivre bon sang... Cela ne devait pas être terrible, pas plus que maintenant ! Pourquoi voudrais-tu que les choses aient changées ?


Matt_08

-Parfaiiiiit ! Splendiiiiide !

Tu es exactement l’homme qu’il me faut... Continue !

-On n’a jamais besoin de qui que ce soit ! Là aussi c’est une illusion ! Passe ton chemin, je t’en prie !

-Jamais si près du but ! Au contraire l’homme ! Je vais te proposer un marché qui nous comblera d’aise moi et toi, d’accord ?

-Laisse-moi tranquille...

-Pas maintenant... Écoute... Je ne vais te demander qu’une chose... Qu’une seule chose... Qu’une toute petite chose... Toute simple et toute bête : prête-moi ton corps...

 

Matt_09 -Quoi ?

-Prête-moi ton corps...

-Tu déraisonnes !

-Pas du tout ! Écoute-moi bien ! Je te propose un échange pour une semaine ? J’entre dans ton corps et toi dans le mien. Je vis ta vie et toi ma solitude et dans une semaine on se retrouve, on fait le point en quelque sorte et on décide de la suite ! C’est simple non ?

-Tu veux dire que je serais toujours le même individu mais transposé dans ce corps de loup ?

-Exactement ! Tu seras toi, seul dans cette forêt que tu aimes, heureux et serein de cette vie solitaire loin du monde qui te pèse et moi je retrouverai tout ce que j’ai perdu, tout ce que j’ai aimé dans la vie... Les femmes, les feeeemmes, les feeeeemmes... Oooooooh !

Alors ? Qu’est-ce que tu en dis ?”

 

Matt_10Les yeux du loup éclairés par les reflets rouges de la pipe étincelaient dans la pénombre. Ses dents effilées brillaient blanches comme la soie. L’homme comprit qu’effectivement cet animal avait tout de l’être humain. Il sentit que c’était cela qu’il lui fallait fuir. Fuir l’avidité, la haine déguisée, le mensonge et la cupidité. Une semaine pour être autre ! Une semaine pour souffler. Pourquoi pas ?

“-Alors ? Qu’est-ce que t’en dis ?

-C’est curieux mais...

-Faisons l’échange tout de suite...

-Tout de suite ?”

 

Le loup posa ses pattes velues sur les mains de l’homme et émit un son grave et monocorde. Des vibrations résonnèrent en l’homme et une énergie circula dans tout son corps. En une seconde, il se sentit décoller doucement de lui-même et put, à sa grande surprise, contempler la scène de l’extérieur... 

                                                        Matt_11


C’était la première fois qu’il se voyait ainsi ! Il brillait d’une lueur intense, profondément blanche. Il était vapeur, lumière pure flottant sans pesanteur, libre de toute contrainte. Il aperçut alors, s’évaporant du loup, une lueur jaunâtre qui se dirigea promptement vers le corps de l’homme. Elle s’y engouffra et l’homme dégagea brusquement ses mains des pattes du loup. À cet instant, il eut un doute. Puis il descendit progressivement vers le loup et comme ça à s’y installer. Avec beaucoup de difficultés, il tenta d’actionner les différents membres. Dans un premier temps la tête, puis le cou, les pattes et enfin la queue... Bizarre tout cela... Il se sentait gauche et déstructuré.

Pendant ce temps, l’homme avait déjà sorti le portefeuille de la veste et comptait fébrilement les billets. Il inspecta une à une toutes les cartes bancaires, le carnet de chèques puis regarda curieusement le stylo-plume. Il fouilla dans les poches, en sortit quelques pièces et des clefs de voiture.

 

Matt_12“-Putain ! Une Mercédès... Ben mon vieux, tu ne t’emmerdes pas... Au fait, je fais quoi comme métier ?”

 

Le loup eut beaucoup de mal à faire fonctionner sa mâchoire et ses cordes vocales.

“-Ar-chi-tec-te.

-Au poil... Oh excuse-moi mon vieux... Bon c’est pas le tout mon loulou mais je n’ai pas de temps à perdre moi ! Je rentre. Rendez-vous ici même à la nuit tombée dans une semaine ! Pigé, compris ? Je compte absolument sur toi. Salut, je file.”

Et l’homme s’éclipsa en faisant des bonds.

 

L’animal resta immobile, groggy. Un nuage acheva la faible clarté de la lune et il s’aperçut qu’il y voyait très bien. C’est alors qu’une de ses oreilles le démangea. Dire le temps qu’il mit pour actionner la bonne patte en direction de la bonne oreille ne suffirait pas à décrire la maladresse du loup.

 



Matt_13

Le geste machinal du loup qui se gratte n’était pas pour ce soir-là et cela était d’autant plus regrettable qu’il réalisa qu’il était couvert de puces... Ses premiers déplacements furent hasardeux, le synchronisme délicat. Quatre pattes, c’est beaucoup. Lorsqu’il assura quelques pas relativement corrects, il prit conscience soudainement qu’il ne savait pas où se trouvait sa tanière. Il eut le sentiment désagréable d’avoir fait les choses à la va-vite, d’avoir agi sur un instant de désespoir, de colère et de duperie mêlés... Lui, qui était si prévoyant et réfléchi ! Il en sourit intérieurement et se mit à trotter. Cette légèreté soudaine tranchant avec la lourdeur vécue quelques secondes auparavant le ravit. Il arriva, sourire aux babines, sans réfléchir devant un trou bien camouflé sous un fourré et y entra.Matt_15

“-C’est donc cela le flair ?”

 

À l’intérieur, il déchanta. Une forte odeur, bien qu’elle fut sienne, s’y dégageait. Des restes épars de menus passés lui soulevèrent le coeur. Après un peu de rangement, il finit par trouver, au fond de la tanière, un espace plus accueillant. Il se surprit à faire plusieurs fois le tour sur lui-même puis se coucha en boule, la tête sur ses pattes arrières. Sa longue queue frappa plusieurs fois le sol. Et dans une sorte de joie intense et incontrôlée, il sombra dans un sommeil de plomb...


Matt_16


Les journées qui suivirent lui parurent agréables. Toutes ces expérimentations nouvelles, toutes ces situations familières qui lui étaient étrangères à travers ce corps nouveau lui apportèrent une joie de vivre. Et si la première mouche gobée au vol, sans réfléchir, le plongea dans un fou-rire intérieur, il apprit, petit à petit, à maîtriser le rapport entre sa lucidité humaine et son corps de loup. Il était heureux de profiter, en pleine conscience, d’un comportement animal. Il découvrait en fait le spontané, la prise directe avec son propre espace, la place calculée que l’on occupe dans un monde naturel. Le moindre mouvement était source de bien-être, de jeu. Il était loup, mais loup conscient. Efficace, agile, réfléchi et solitaire. Ce qui le surprenait le plus c’était cette capacité qu’il avait encore à jouer... À son âge, jouer... Lui qui n’avait plus le goût à rien ! En fait, cela occupait les trois-quarts de son temps. Il courait, sautait, bondissait, se roulait sur le dos, s’ébrouait... Chassait les libellules, les mulots, les lapins et même les chauve-souris, la nuit, lorsqu’elles descendaient suffisamment bas.

 

Et c’est en jouant qu’un soir, il se remémora les paroles de l’homme : “Rendez-vous dans une semaine”. Bien qu’il n’eut pas de montre, il lui sembla brusquement que c’était l’heure, que le temps était venu de retourner près de l’étang pour convenir de la suite. Pour lui, c’était clair, il resterait ici. Mais pour l’homme qu’en serait-il ? Tout en trottinant, le loup répétait d’une voix qui se voulait la plus convaincante possible, les mots, les arguments qui feraient qu’il insisterait pour rester loup.

 

Matt_18

Lorsqu’il arriva près du tronc, l’homme était déjà là. Il se tenait debout, tout vêtu de blanc, une main contre un tronc d’arbre, l’autre dans la poche. Son visage semblait fermé mais ses yeux luisaient toujours.

“Bon sang, pensa le loup, quelle tristesse...”

Il prit cependant les devants et lança à l’homme du mieux qu’il put :

“-Alors, comment te sens-tu dans cette vie d’homme et qu’elles en sont les nouvelles ?

-Les nouvelles sont au nombre de deux, répondit froidement l’homme. Une bonne et une mauvaise... Je commence par la bonne : ton boulot m’enchante, ta petite amie est revenue et c’est le grand amour. Elle te trouve changé et je lui plais beaucoup...

-Finalement, cela ne m’étonne pas, fit le loup. Et la mauvaise ?”

Le visage de l’homme s’épanouit. Ses yeux brillaient de tous leurs éclats. Il sortit de sa poche une arme à feu et la pointa en direction de l’animal.

Matt_19

Le loup s’immobilisa.

La partie animale voulut sauter dans le fourré situé à sa droite

mais la conscience de l’homme resta pétrifiée...

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