Morgane
J’ai connu Brocéliande, il y a bel âge,
dans toute sa sauvagerie sans balise. Elle m’envoûta, affola ma boussole,
m’apprit que même mortes les amours mordent. J’ai aussi longuement fréquenté
les romans du cycle breton, du cycle d’Arthur.
Les fées bretonnes ne sont jamais des dames-comme-il-faut (sinon, qui s’en soucierait !) et Morgane est sans doute la plus sulfureuse. Elle n’est ni... ni... Elle est mi... mi... Insaisissable, elle est femme !
Sur mon arbre généalogique aux
trois-quarts ébranché, est venue se greffer une Morgane, une grande liseuse aux
yeux étranges, anglaise de naissance et d’imagination.
La mise en mots fut simple. De belle et
folle humeur, oyez, oyez, liseurs, le cri muet du menhir !
Guénane.
Au
XII ème siècle, dans les cours royales, se mit à fleurir un nouveau
plaisir : le roman. Un récit où se mêlent l’art de la guerre et l’art de
l’amour, la prouesse et la courtoisie, l’aventure guerrière au service du
tourment de l’amour.
Une
petite fille lisait… Lisait… À toute heure, en tout lieu ; un livre est un
nuage, un tapis volant. Morgane aux yeux vert-doré-métal découvre les récits de
la Table ronde, les chevaliers d’Arthur roi des Bretons.
Entre
deux chevauchées, deux sortilèges, Morgane, la sœur d’Arthur aussi lisait…
Lisait… Morgane, c’est tout un roman cette fée ! Une Bretonne énigmatique,
une fée différente qui enflamme l’imagination, une fée qui reste femme et
pleure, de rage et de douleur, son amour impossible. Son regard est si
pénétrant que parfois il fait peur. Les corbeaux sont ses amis, ils lui
montrent le chemin, les hiboux lui caressent la joue. Un bruissement d’ailes
précède toujours son apparition.
La
Bretagne est terre de songes. Elle plonge dans la mer à une extrémité du
monde ; un pas de plus et c’est l’abîme, l’océan où le soleil meurt. Tout
son cœur était autrefois occupé par une forêt profonde et périlleuse,
Brocéliande, “brousse et lande”, une forêt envoûtante où se cachent des étangs
d’eau sombre recouverts de mousse si épaisse que le pied s’enlise s’il n’y
prend garde. Cette forêt camoufle aussi la fontaine de Barenton où l’on arrive
après “moult sentes épineuses et perfides” ; son eau froide bout et
quelques gouttes éparpillées sur la margelle suffisent à déchaîner d’effrayants
orages.
Si
un voyageur s’égare, les arbres se rapprochent et lui barrent le passage ;
s’il est un homme au cœur volage, il restera captif du Val Sans Retour, le val
enchanté par Morgane. Chaque matin, Morgane se regarde dans le Miroir aux Fées,
un étang que ne ride aucune brise ; elle contemple son image que le temps
n’altère pas ; belle et lisse comme le miroir. C’est une fée qui aime
l’aube mais attend ses proies dans l’ombre ; une magicienne un peu
sorcière qui, en beauté et en puissance, dépasse toutes les autres fées. Elle
connaît l’art de changer d’aspect, de “semblance”, et les vertus médicinales
des plantes. Elle fut l’élève de l’enchanteur Merlin qui, toute sa vie, se tint
prêt à intervenir s’il prenait à Morgane folie d’abuser trop de ses pouvoirs.
Morgane,
maîtresse des vents, déclenche parfois dans sa fureur des tempêtes aussi fortes
qu’elle. À l’aube, sur le sentier côtier, elle dut freiner son cheval
blanc ; le vent s’engouffrait dans son long manteau noir et, face au
large, dans les rafales, elle hurla :
-
Pourquoi le plus grand, le plus beau chevalier du monde ne m’aime-t-il
pas ?
Elle
parle de Lancelot, celui dont les qualités morales sont aussi impressionnantes
que sa force physique. Un chevalier irréprochable pourtant entaché d’un péché
irréparable : il aime Guenièvre, la femme du roi Arthur ; un amour
fulgurant, à la seconde où il la vit, et Morgane la superbe le laisse
indifférent. La jalousie mine Morgane. Malgré ses pouvoirs, elle ne peut
supprimer Guenièvre, non parce qu’elle est la femme de son frère, mais parce
que Merlin le lui interdirait. Elle porte au doigt l’anneau de l’Enchanteur,
l’invisible qui la surveille.
Morgane
la fée, piquée par le sable et les embruns, n’est plus qu’une femme, d’autant
plus amoureuse que Lancelot lui résiste. Elle s’était pourtant jurée de ne plus
tomber dans ce piège. Elle avait déjà aimé un beau jeune homme, Guyomarch qui,
passé le temps des mille jours de la passion, l’avait délaissée. Morgane avait
juré de haïr tous les hommes, jusqu’au jour où elle croisa Lancelot.
Comment
Morgane, dont la beauté laisse coi de stupeur, peut-elle supporter
l’indifférence de Lancelot, le premier chevalier du monde ? Aucune magie
ne peut agir, alors elle complote. Pour se venger de tous les hommes, elle
enchante une vallée, Le Val Sans Retour, surplombé par le rocher des Faux
Amants, où elle retient prisonniers tous les amants mal aimants.
Dans son château de pierre violette, depuis déjà plus de deux hivers, elle séquestre aussi Lancelot. Un jour qu’il errait dans la forêt, elle l’attira dans ses rets. Morgane connaît bien les vertus des plantes et peut être à la fois une dangereuse ensorceleuse ou une sage guérisseuse. Elle sait préparer un mélange qui ôte de la tête la démence ; des onguents qui réparent les blessures en une semaine, à condition de frotter toujours dans la direction du cœur. Elle prépara pour Lancelot une boisson délicieuse qui lui retira toute force et l’endormit. Puis, elle emplit une canule d’argent d’une poudre spéciale qu’elle lui souffla par le nez jusque dans le cerveau. Pendant tout un mois, elle se délecta de ce Lancelot docile, enivré, somnolent, bien décidée à laisser croupir dans cette chambre le plus beau, le plus valeureux chevalier du monde qui ne voulait pas l’aimer. L’amour ne s’explique, il échappe à toutes les magies parce qu’il est magique.
Par l’une des fenêtres de fer, un matin, il aperçoit un vieil homme qui peint une fresque sur un mur, le périple du prince Enée de Troie jusqu’en Italie. Lancelot l’envie, l’appelle, lui demande des pinceaux et des couleurs que le peintre lui cède volontiers. Il commence, sur les murs de sa chambre, à dessiner sa vie, avec une telle minutie et ressemblance qu’il s’en étonne lui-même. Il peint son arrivée à la cour d’Arthur, les grands tournois où il fut vainqueur, les grands rassemblements de la Table Ronde et surtout son éblouissement chaque fois qu’il revoit Guenièvre.
Morgane,
la nuit, épie. Elle aime Lancelot d’un fol amour, incomparable, absolu, mais
quand elle voit la reine sur les murs, sa souffrance s’avive. Elle pourrait
tromper Lancelot en prenant les traits de Guenièvre, mais ce serait pis encore
de penser qu’il l’aimerait en désirant une autre. Alors elle se contente de
contempler le bel endormi et de suivre l’évolution des peintures. Elle ignorait
que le désarroi amoureux puisse donner autant de talent. Elle ne l’en aima que
plus, décidée plus que jamais à le garder prisonnier tant qu’il n’aura pas tout
avoué sur les murs. Quand elle souffre, Morgane trame des plans maléfiques.
Ainsi
Lancelot ne vit plus passer les saisons, et les yeux de Morgane chaque nuit
jouirent de la présence du chevalier doué en tout.
L’absence
prolongée de son meilleur chevalier inquiète le roi Arthur, et Guenièvre endure
les pires maux, oubliant même le boire et le manger de tant de souffrance
contenue. Morgane la mal aimée sourit. Quand elle visite son frère, elle fait
très bien semblant de tout ignorer, de compatir, d’interroger les astres,
d’implorer les ancêtres, se délectant au fond d’elle-même de sa perfidie. La
jalousie de Morgane n’a que faire de la morale.
Tous
les chevaliers dépêchés par Arthur pour retrouver Lancelot, tous grands
seigneurs infidèles, tombent dans le piège doré du Val Sans Retour. Là, tout
n’est qu’élégance, luxe, raffinement. Tout captif est accueilli magnifiquement,
les serviteurs sont nombreux, musiciens et danseuses ne manquent, ni les jeux,
tout est appât dans le jardin des délices. Morgane a prévu une chapelle, mais
la fine fleur de la chevalerie oublie de la fréquenter, préférant se vautrer
dans la vie oisive et confortable.
Morgane
constate qu’un homme est toujours aussi lâche que preux. Tous ces braves
renoncent vite à s’échapper, car elle a l’art de leur faire prendre pour des
flammes les rayons du soleil, pour des monstres les oiseaux, pour des murailles
les rochers. Ils prennent ces cauchemars pour des réalités. Aucun ne regarde
vraiment, il lui est aisé de berner tous ces vaillants chevaliers qui n’osent
pas affronter ses sortilèges.
Morgane
jubilait quand elle sentit l’anneau de Merlin se resserrer sur son doigt ;
elle le retourna et reconnut la voix de l’Enchanteur :
-
Il suffit, Morgane, n’outrepasse pas les limites ! Ce que tu fais subir à
ces nobles chevaliers n’est pas pour me déplaire, cela leur ouvrira les yeux,
mais je t’empêcherai de porter atteinte à la puissance du plus grand des rois
en les retenant captifs ; ce destin-là, Morgane, n’est pas entre tes
mains !
Morgane ricane, retourne l’anneau. Merlin, son maître, bien que fils du diable est toujours du côté des bons, des malheureux, il lui a tout appris et sait la soumettre ; elle est vaincue, elle enrage.
Peu
après, Viviane, à qui Merlin remit par amour tous ses dons et qui avait élevé
Lancelot au fond d’un lac, donna pouvoir à l’une de ses disciples ;
celle-ci endormit la forteresse de Morgane et délivra Lancelot, lequel dut
ensuite vaincre tous les sortilèges du Val Sans Retour. Il était urgent de
libérer les compagnons d’Arthur, car le grand roi avait de nombreux ennemis
haineux.
Ce
fut une rude épreuve pour Lancelot, mais lui sait voir, discerner, affronter.
Il a appris avec la Dame du Lac, l’art de faire disparaître les illusions qui
peuvent troubler le jugement ; le courage de Lancelot abolit les terreurs
imaginaires.
Les
sept portes s’écroulent une à une quand il étend la main, puis, d’un coup d
‘épée il fend la palissade de fer, coupe la tête des sept serpents à la langue
de feu qui gardent la fosse ; il l’enjambe, se retrouve sur un chemin
étroit où l’assaillent des nuées de crapauds hideux aux yeux de braise ;
il les écrase et le sol devient tapis de bruyère. Alors il tranche la gorge des
chiens qui ne sont que crocs et griffes pour le déchirer, il transperce un
géant monstrueux haut comme moulin à vent. Chaque fois qu’il affronte, tranche,
transperce de son épée, tout s’évanouit, le paysage retrouve ordre et
silence ; la muraille de flammes, dernier obstacle, de même s’éteint.
Alors
il aperçoit ses compagnons enivrés, somnolents, joueurs débauchés, plus
fantômes que chevaliers. D’un coup d’épée encore il leur rend conscience et ils
reprennent promptement le chemin de la forêt et de la cour.
Lancelot,
assis sur un rocher, contemple le val paisible où s’égosillent les oiseaux. Il
sent un souffle, un bruissement d’ailes et brandit son épée. Apparaît Morgane
sur son cheval blanc, drapée dans son long manteau noir.
-
Ce ne pouvait être que toi, mais je pense si peu à toi, je n’ai même pas songé
que toi seule pouvais être l’auteur de ces manigances diaboliques.
-
Moi, j’aurais dû savoir que tu étais le seul capable d’anéantir mes sortilèges,
toi, l’homme d’une seule femme ! Dire qu’ensemble nous serions le couple
le plus beau, le plus fidèle, le plus puissant !
Ensemble…
Ce mot impossible la déchire. Son regard perce, irradie, insoutenable, mais
Lancelot ne cille pas, il sait lire aussi dans les yeux de Morgane la
souffrance d’une femme.
Morgane
éperonne son cheval. Lancelot, figé, les regarde s’éloigner, impressionné par
la force d’amour des femmes.
C’est
dur d’abandonner un rêve, surtout pour une fée, et Morgane déteste échouer.
Elle a perdu Lancelot, mais il lui reste la chambre aux images.
Au
cours d’une chevauchée, le roi Arthur et sa suite se perdirent en forêt. Toutes
les forêts d’alors étaient des labyrinthes périlleux, surtout la nuit, autant
dire les ténèbres. Ils s’apprêtaient à faire halte jusqu’à l’aube, quand ils
entendirent, assez près, sonner par deux fois le cor. Arthur délègua un
chevalier dans cette direction ; il se retrouva devant un château où il
fut très aimablement reçu. La dame des lieux l’invita à rejoindre le roi
qu’elle souhaitait recevoir de son mieux.
Arthur
découvre une somptueuse demeure très éclairée par des milliers de cierges. La
maîtresse du château est entourée d’une centaine de dames et chevaliers
richement parés qui s’écrient d’une seule voix : “Soyez ici le bienvenu,
car jamais nous n’eûmes plus grand honneur que celui que vous nous faites en
acceptant de vous arrêter ici.”
Tout
n’est que luxe, or, argent, et succulences. Après dîner, fatigué par sa
chevauchée, le roi est “convoyé” dans une chambre par deux damoiselles
délicieuses et vite il s’endormit.
Sous un aspect différent, la maîtresse des lieux n’est autre que Morgane et Arthur dort dans la chambre aux images. Déloyale peut-être la belle femme-fée, mais elle sait ce qu’elle fait.
Au
matin, très tôt, elle se rend auprès du roi, le pressant de rester quelques
jours.
-
Sire, aucune demeure au monde ne désira plus vous recevoir.
-
Dame, qui êtes-vous ?
-
Sire, je suis votre “charnelle amie”, votre sœur Morgane, et vous devriez me
connaître mieux que vous ne me connaissez.
Alors
il la reconnut.
-
Je vous croyais disparue et vous retrouve plus belle que jamais ! Je vous
emmène avec moi à Camaalot, Guenièvre sera ravie que vous lui fassiez
compagnie.
-
Non mon frère, plus jamais je n’irai à la cour ; quand je partirai d’ici,
j’irai en l’île d’Avalon.
Ils
ont tant à se raconter que peu à peu le soleil éclaire toute la chambre. Le roi
distingue alors toutes les peintures sur les murs et lit les mots qui les
accompagnent. Toutes les histoires des chevaleries de Lancelot surgissent dans
la lumière et, par-dessus tout, son amour pour Guenièvre. Arthur, qui avait des
soupçons ne peut plus avoir de doute. Il prie Morgane de lui avouer qui en est
l’auteur.
-
Sire, que me demandez-vous là ? Si je vous le disais, l’auteur de ces
peintures me tuerait !
-
Au nom de Dieu dites-le moi et je vous protégerai !
Morgane
espérait cet instant. Elle raconta la belle histoire, comment elle retint le
chevalier un an et demi dans cette chambre et comment, par détresse, il peignit
“la fine amor” qu’il ressent pour la reine, la belle histoire d’un amour absolu
que le roi appela “La trahison de Lancelot”.
Morgane
triomphe. Arthur jure de laver sa honte, sa honte peinte sur les murs et
Morgane la perfide se venge de celui qui ne lui offrit qu’indifférence, mais
qu’elle continue d’aimer plus que tout ; une fée peut avoir des
faiblesses.
Après
bien des aventures, Guenièvre finira ses jours dans une abbaye et Lancelot dans
un ermitage. Toute sa vie il restera en proie à l’enchantement amoureux du
premier instant, Guenièvre demeurera l’unique dame de ses pensées.
Morgane
fit comme elle avait dit : elle se retira en son château d’Avalon, un
château étincelant sous les eaux où elle vit avec neuf fées qui sont ses
disciples et ses messagères. L’île d’Avalon, c’est l’Autre Monde des Celtes,
celui de l’Autre Vie, la vie après la mort.
Le
roi Arthur eut toute sa vie de nombreux ennemis haineux et jaloux, les Saxons,
les Pictes, les Scots, les Normands, les Danois… Sur la côte blanche d’Armorique
eut lieu un fameux combat.
Le
sol est recouvert de cadavres, les plus valeureux chevaliers ont péri. Arthur,
âgé, est blessé à la tête, mais il remonte à cheval et galope droit vers la
mer. Il ne veut surtout pas mourir devant ses ennemis. Il passe la nuit dans
une chapelle, en pleurs et en prières.
Au matin, sur le rivage, il se défait de son épée et demande à un compagnon de la jeter dans un lac proche. Car, aucune main à sa mort ne sera digne de porter Excalibur ; elle fut fabriquée en Avalon et appartient à l’Autre Monde où elle retournera.
Excalibur,
la meilleure épée du siècle, bonne et belle, dès qu’elle touche l’eau est
saisie par une main mystérieuse qui surgit du lac. Le roi reste seul sur la
plage. Une grosse pluie bretonne commence “à cheoir moult grant et moult
merveilleuse”. Alors, du milieu de la mer, sort de la brume une nef remplie de
belles dames ; elle touche le rivage juste là où se tient le roi et, à
bord, se trouve sa sœur Morgane ; en tirant son cheval, il entre dans la
nef qui rapidement s’éloigne et disparaît au large.
Sur
l’île d’Avalon, Morgane soigne son frère avec ses onguents magiques. Peu à peu
il reprend forces et n’a plus qu’une pensée : retourner à la cour,
retrouver les chevaliers. Le pouvoir lui manque, il sait que sans lui finira la
chevalerie. Mais Morgane le fait garder jour et nuit par ses neuf fées. Elle a
toute sa vie ressenti comme une blessure d’orgueil, la gloire et la puissance
de son frère cadet. Elle entend bien le retenir auprès d’elle. Arthur, en secret,
appelle son ami Merlin afin qu’il le libère de l’enchantement de Morgane.
Aussitôt,
Merlin rejoint l’île d’Avalon. Il écoute Arthur le supplier de lui rendre son
royaume.
-
Pas plus que ta jeunesse, je ne le puis.
Arthur
s’agace.
-
Es-tu, oui ou non, l’Enchanteur qui peut tout prédire, tout
métamorphoser ?
- Je ne suis plus qu’un vieil homme ; j’ai perdu toute ma science par amour, dans les bras de Viviane ; mais je suis toujours ton ami et de sage conseil. Apprends le détachement, Arthur, détourne-toi des gloires éphémères et je t’offrirai un trône éternel, celui où tu régneras à jamais dans l’esprit des Bretons.
Le
roi entend cette sagesse avec le cœur et l’âme. Il renonce à sa couronne,
Morgane en est fort ravie. Sur l’île d’Avalon, depuis quinze siècles, Arthur
attend et peut réapparaître un jour si la Bretagne l’appelle.
Arthur
est un roi de légendes, et dans toute légende le mensonge est aussi fort que la
vérité, la folie aussi belle que la raison.
Morgane,
sa sœur, est l’une des belles immortelles du mensonge merveilleux, intarissable
fontaine où puise tout roman.
Chacun
de nous est le héros de sa vie.
À
chacun son roman.
En
barque, sur un étang du Pays de Galles, une petite fille lisait… Lisait.
Tout
à coup elle se précipita à la proue et plongea tout habillée. Elle sait nager.
Une main puis un bras surgirent de l’eau, elle refit surface en glougloutant,
fut vite remontée à bord et tancée :
-
Morgane, qu’est-ce qu’il t’arrive, tu es folle ou quoi ?
-
Non, différente !
-
Tu peux expliquer ton comportement ?
-
Chacun est le héros de sa vie !
Elle
riait et ses yeux étaient d’un étrange vert-doré-métal dans la lumière magique
qui rasait l’étang. Parfois les petites filles sont aussi insondables que les
fées.
Toutes les forces mystérieuses sont en nous et ce n’est pas folie de croire aux légendes des Bretons.
Guénane